Souvenirs: Le regard de Richard Bona sur les CD piratés qui font l’objet d’un autodafé

Souvenirs: Le regard de Richard Bona sur les CD piratés qui font l’objet d’un autodafé

Thiery Gervais Gango, journaliste culturel, partage avec les lecteurs de www.villesetcommunes un souvenir d’un échange avec Richard Bona dont les prises de position contre le régime de Yaoundé horripilent certains. Sa sortie contre un award reçu en 2009 de la télévision privée proche du pouvoir Canal 2 lui vaut une interdiction de diffusion de ses chansons et un audodafé de ses disques, du reste piratés.

L’award attribué à Bona avec une coquille et qu’il a mis à la poubelle en 2020

A CEUX QUI ONT DÉCIDÉ DE BRULER LES CDs (PIRATÉS) DE RICHARD BONA OU DE NE PLUS L’ECOUTER OU LE FAIRE ECOUTER
Il y a quelques années, Richard Bona est à Yaoundé où il doit prester à Ya-Fe. Bouba Kaele (pour MTN) me fait l’offre de l’accompagner dans la ville et à des rendez-vous entrant dans le cadre de son contrat. Mon choix est peut-être dû au fait que, tout à fait par hasard, Bona m’a confié deux fois par le passé et par réflexe, sa guitare alors qu’il allait honorer des séances photo avec des spectacteurs. Le seul mérite qui me valait cette “confiance spontanée et rare” étant que je fus à portée de bras. En plus, j’avais travaillé comme journaliste culturel et jouissait de la réputation un peu surfaite de connaître les bons de Yaoundé.
Dans la voiture qui nous mène au premier rendez-vous, nous échangeons sur la piraterie, la circulation de ses CDs au pays et la notoriété qu’il a auprès de toutes les générations. Bona a du mal à nous croire quand on affirme qu’il est écouté autant à Etoudi qu’au Marché central où on le joue de la même manière qu’on y écouterait le dernier K-Tino. Il était jusque-là convaincu que seule l’élite l’écoute. Je lui promets un tour de vérification au Marché central après l’étape du call-center de MTN situé au-dessus de l’Immeuble Stamatiades. Nous y voici justement.
A peine descendus, voilà qu’une dame sortant de la Standard Chartered Bank remarque Bona. Elle s’écrie et fonce vers le musicien. Elle veut une dédicace pour elle et pour sa fille. Elle veut aussi savoir si elle peut courir à l’Avenue Kennedy réquisitionner un photographe. Bona marmone quelque chose. On l’attendra. La dame a-t-elle à peine tourné le dos que débarquent deux vendeurs de CDs piratés. La honte. Ils brandissent le tout dernier album de Richard Bona, ainsi qu’un coffret d’albums précédents. Bouba et moi sommes interdits. Les gamins insistent. Bona ne cache pas son émotion. Par la suite, l’effusion au call-center et à la boutique MTN sur la Montée Âne rouge nous dissuade de prendre le risque d’une émeute au Marché central.
“Le Cameroun n’est pas un marché pour moi. L’Afrique non plus. Je vends aux États-Unis, en Europe et en Asie” (R. Bona)

L’opération de Public relation terminée pour cette journée, je lui suggère le poulet braisé unique de Maīthé qui officiait alors à l’Agora, restaurant perché à Nlongkak. Ici commence le debrief.
Moi : Pourquoi as-tu été si silencieux face à ces enfants qui vendent tes CDs alors que ton album n’est pas supposé être déjà disponible ici?
Sa réponse nous a désarconnés. Je la résume de mémoire : Je suis encore ému. Je ne m’imaginais pas ça. Que veux-tu que je fasse par rapport à ces enfants. C’est leur gagne pain. Il faut se plaindre pour les artistes locaux et pour tous ceux qui n’ont pas la même chance que moi. Si mes CDs piratés peuvent faire vivre des enfants ici, tant mieux. Je parle bien pour moi et non pour ces nombreux artistes qui souffrent de ce phénomène qui enrichit certaines personnalités. Le Cameroun n’est pas un marché pour moi. L’Afrique non plus. Je vends aux États-Unis, en Europe et en Asie. C’est déjà énorme. Quand les enfants japonais se lèvent chaque matin, ils m’écoutent parce que je signe la musique de deux dessins animés très célèbres là-bas. Donc qu’on me pirate ici, je ne sais pas. Si ça contribue à faire sortir certains de la misère…
Lorsque je me rappelle ces propos, je me demande bien si, dans nos intimités et anonymats, “brûler” du Bona ne s’apparente pas à une tempête dans un verre d’eau. A une autoflagélation…
Que valent ces autodaphés qu’il moquera sans doute, faisant grimper nos ires qu’il sait si bien titiller en nous laissant nous démêler dans nos alcôves tels des forcenés ?
Après avoir brûlé les CDs de Bona, il faut aller jusqu’au bout de la logique en allant au plus profond de nous chercher, pour les brûler, ses mélodies, les frissons de sa basse, les émotions de ses paroles et toutes ces marques indélébiles qu’il y a installés.
On ne le diffusera peut-être plus sur certaine chaîne prise à partie. Mais patrons et personnels de ce média (qui manqueraient de hauteur pour le coup) risquent de subir Bona longtemps encore dans leur chair, subconscient et, de manière plus simple, en eux, autour d’eux et, tiens, lorsque RFI lancera par exemple son prix Découverte. Bona leur sera alors servi au petit déjeuner, au déjeuner, au goûter, à l’apéro, au souper… Juste avant les tranches d’information. Il faut craindre à ce moment-là des gestes incontrôlés et des troubles qui ne le seront pas moins.
Des gens normalement constitués ne peuvent pas répondre à ce qu’ils considèrent comme des excès par plus d’excès encore. Au moins par devoir d’exemplarité.
Après avoir tué tous les lieux où l’intelligence et les idées pouvaient émerger, à l’université notamment, nous avons promu des phénomènes d’allergie sélective au moindre excès, à la moindre contradiction, à la moindre divergence de vues.
Bona a jeté à la poubelle quelques trophées en recherchant le symbole. En nous qualifiant d’inertes. Comme le chef de l’Etat en avait d’ailleurs fait lui même le constat avant lui. En brûlant du Bona, nous agissons exactement comme ces talibans qui ont degainé à Charly hebdo. Ou comme ces chantres de l’Inquisition, plusieurs siècles avant les temps modernes. A moins de considérer qu’il nous a touché là où ça fait le plus mal…

Thiery Gervais Gango

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