Il faut sauver le journalisme

Il faut sauver le journalisme

C’est le genre de nouvelle qui vous fait vous demander si vous prenez les bonnes décisions, si vous êtes mentalement sain et si vous ne regretterez pas dans quelques années d’avoir fait le mauvais choix. Je veux parler de la décision de Valentin Siméon Zinga d’être désormais, selon formule consacrée chez nous, “journaliste en retrait”, en se faisant recruter à Orange Cameroun, l’opérateur de téléphonie mobile.

Je me pose quelques questions, car je suis dans des dispositions inverses, cherchant la meilleure formule pour partir du monde de la communication institutionnelle pour celui de la presse écrite, pour financer ma passion, le journalisme, et l’entreprise qui édite Villes & Communes dans un environnement où tout le monde a fini par conclure qu’il y a plus de brebis galeuses dans l’enclos que de grasses qui donnent des envies de laine.

Le choc pour moi est d’autant plus fort que ce valeureux aîné m’a accordé le privilège le 9 janvier de m’entretenir avec lui sur la profession, sur sa pointe acérée que je trouvais sans l’en convaincre légèrement élimée, sur le regard souvent souhaité mais si rarement obtenu des aînés de nous dire sincèrement ce qu’ils pensent de notre travail, à Villes & Communes. Car, nous souhaitons dans une suite logique de transmission de pouvoir, de savoir, de témoin et de flambeau qu’il n’y ait pas une rupture bruyante et douloureuse entre les générations.

J’étais loin de m’imaginer qu’il avait ses propres questionnements qui prenaient une tournure définitive, ses propres doutes à un âge où les charges pèsent beaucoup plus que les revenus, tandis que les sollicitations familiales et sociales fusent sans relâche. Eussé-je été un intime qu’il m’en aurait touché un mot, j’imagine. Mais je n’en étais pas et il ne laissa point poindre le moindre signe de lassitude et d’envie d’ailleurs. D’ailleurs, je me demande toujours comment certains font pour réussir à passer 20 ans et plus dans un environnement professionnel, quand j’en suis à compter neuf en quinze ans de vie active. C’est sans doute qu’ils réussissent un savant dosage entre la raison et le cœur, entre la foi en un projet d’entreprise qui plus est dans le milieu des médias et singulièrement celui de la presse écrite, si exigeante et la trajectoire personnelle qu’on se propose.

C’est donc pour moi l’occasion de saluer ceux de ces aînés qui nous font aimer le métier tout en regrettant que ni l’Etat, ni le législateur, ni les entreprises de presse, ni la société camerounaise, ne soient disposés à définir le meilleur cadre d’épanouissement possible des journalistes. Et l’on peut aisément comprendre le taux élevé de défection dans les rangs des professionnels de la plume et du micro. Ce que les entreprises brassicoles ou de téléphonie, les agences de communication ou de publicité, les organismes internationaux ou les projets et programmes leur proposent représente généralement 4 fois au moins ce qu’ils gagnaient chichement avec parfois le mépris de l’employeur, des frustrations et humiliations.

Ce n’est pas qu’un problème d’argent, objectera-t-on. Mais qu’est ce que c’est alors? De l’abnégation dans le dénuement? L’absence de moyens décents de reportage? L’institutionnalisation du “per diem” avec ses réalités de versement diverses? La place et le rôle des syndicats? Mais qu’est-ce que c’est donc si ce n’est tout compte fait l’absence d’une politique volontariste de l’Etat pour faciliter la mise en place et le fonctionnement intelligent de contre-pouvoirs dans l’intérêt même de la démocratie et de la gouvernance? Il faut sauver le journalisme au Cameroun, et les journalistes avec. Ce d’autant plus qu’à force d’attendre des signaux forts de l’Etat, la liste des enterrements de journalistes ne cesse de s’allonger. Comment pourrait-il en être autrement quand les dispositions pouvant faciliter le respect par les parties et notamment les éditeurs de presse de la convention collective ne sont pas prises par le gouvernement?

Comment aboutir à d’autres conclusions là où le fonds d’aide à la presse est envisagé avec des qualités éloignées de la largesse de vue? Comment éviter les constats faits si l’on ne réfléchit pas à une meilleure politique de distribution de la presse sur l’ensemble du territoire sans que cela se fasse sur le dos des éditeurs? Comment faire à nouveau rêver des jeunes si pour eux le journalisme rime seulement avec les médias du service public parce qu’en face, on ne connaît ni les congés, ni l’assurance maladie, encore moins les mois plafonnés à 30 jours ? Comment se projeter sur l’horizon de tous nos fantasmes, 2035, si l’Etat ne facilite véritablement pas la régulation du secteur par les concernés? Comment prendre toujours du plaisir à faire ce noble travail si l’Etat choisit toujours de faciliter la vie aux médias étrangers pour le traitement d’informations de première main, les interviews présidentiels, les publi-rédactionnels, entre autres, plutôt que de le faire avec les meilleurs de nos représentants?

Comment faire que les populations se reconnaissent dans le travail des spécialistes de l’information et dans ce qu’ils incarnent au quotidien, devrait être, il me semble, le principal défi à relever par les pouvoirs publics en cette année 2015, qui à plus d’un titre entrera dans l’histoire de par les points chauds de l’actualité qui ne devraient pas être traités avec moins que des Camerounais à la baguette, ces passionnés qui ont cessé de se bercer d’illusions, mais qui ont choisi, argent ou pas, de faire leur travail, tout leur travail et rien que le leur.

Bonne lecture en espérant que l’Etat nous aidera à ne pas renoncer à l’engagement définitif de vous servir une information de qualité sur les thématiques qui font notre ligne éditoriale. Ce qui ne serait que justice et non de la mendicité.

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Kamdem Souop
Kamdem Souop 343 Articles

Écrivain, éditeur et spécialiste de communication sur le changement de comportement social, il a dirigé le journal en ligne www.villesetcommunes.info et la WebTv www.villesetcommunes.tv de 2011 à 2020.

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