Maggie Cazal: “les deux difficultés majeures auxquelles font face les villes africaines sont la gouvernance et la financiarisation de la ville durable”

Maggie Cazal: “les deux difficultés majeures auxquelles font face les villes africaines sont la gouvernance et la financiarisation de la ville durable”

Docteur en urbanisme, Maggie Cazal est la Présidente-Fondatrice de l’ONG Urbanistes Sans Frontières, organisation créée à Paris en 2004. Elle sillonne les pays du monde via des programmes spécialisés dans un objectif bien défini : la promotion d’un urbanisme durable. Alors que le continent africain tout comme les autres font face aux défis nouveaux des villes, elle tente d’éclairer l’opinion publique internationale. Villes & Communes est allé à sa rencontre.

Bonjour Maggie CAZAL,

 

1-C’est quoi Urbanistes Sans Frontières ?

 

Urbanistes Sans Frontières (USF) est une Organisation Non Gouvernementale (ONG). USF a pour but la promotion du développement durable des villes et des territoires à l’échelle internationale. Notre siège est à Paris, mais nos membres sont à l’international, nous comptons plus de 10000 membres dans le monde dont 5000 en Afrique.

Nos axes d’intervention sont les suivants : renforcement des compétences en matière de territoire avec des plateforme de partage des savoir-faire et expériences dans les domaines de l’environnement, de l’urbanisme, de l’aménagement de l’espace et du cadre bâti ; coopération technique et intervention pour le développement urbain et rural  avec des actions de programmation des logements abordables avec la requalification des quartiers informels, l’organisation des modes de déplacements écologiques, la protection de l’environnement et des milieux naturels ainsi que l’évaluation et prévention des divers risques urbains, naturels et technologiques ; et enfin et surtout la promotion du développement durable et l’émergence de la gouvernance urbaine participative avec l’organisation des actions de sensibilisation et des événements ainsi que des  plaidoyers pour la participation des acteurs de l’aménagement du territoire et des citoyens.

 

2-Les villes du monde font face à des difficultés majeures, de l’offre de logement, en passant par la mobilité et gouvernance urbaines face à une démographie galopante. Avez-vous le sentiment qu’USF est sur la bonne voie ?

 

Plus que jamais USF rassemble des adhérents et partenaires pour apporter des solutions innovantes en matière de gestion urbaine. Nous conseillons également les gouvernements pour la mise en place des politiques de la ville et des stratégies de renouvellement urbain adaptées à chaque contexte territorial. Nous avons une expertise sur les bidonvilles et les quartiers informels. Nous proposons aussi des programmes locaux de l’habitat suivant l’évolution démographique ainsi que des plans de déplacements urbains dans une vision de planification stratégique cohérente, prenant en compte les effets du changement climatique. Suivant notre approche écologique, nous travaillons avec nos partenaires locaux sur les objectifs de développement durable (ODD) d’une manière transversale afin de territorialiser les ODD en cohérence avec le contexte social, économique et environnemental. Par ailleurs, la gouvernance participative étant notre ADN et suivant notre démarche partenariale, nous avons créé la coalition internationale pour la ville et les territoires durables. Cette coalition regroupe des acteurs multiples répartis en 5 collèges : Associations ; Professionnels ; Universités ; Entreprises ; Collectivités territoriales.

 

3-USF organise et participe à des conférences internationales, à l’image du programme « Afrique villes durables » en mai 2019 à Paris, quelles sont les deux difficultés majeures auxquelles font face nos villes selon vous ?

 

Début 2018, USF a mis en place le programme « Afrique Villes Durables » afin de renforcer l’expertise publique et privée liée aux problèmes d’urbanisation en partenariat avec les pays d’Afrique. Le programme “Afrique Villes Durables” vise, sur le long terme, l’Agenda 2030 et, sur le court terme, il s’inscrit dans la préparation du Sommet Afrique-France 2020 pour la ville durable. La démarche d’USF est fondée sur plusieurs approches : globale, transversale, locale, régionale et partenariale. Les réflexions et modes d’intervention proposés par USF sont regroupés en 5 grandes régions de l’Union Africaine. Dans le cadre de ce programme, l’intervention d’USF s’organise selon 3 axes majeurs : Les six groupes de travail (études exemplaires) ; Les ateliers de travail (concertation et réflexion) ; Les sessions de formation (renforcement des capacités). Dans ce contexte, les interventions d’USF ont pour but de réaliser : une étude sur une ville et son agglomération par pays (mise en œuvre de l’agenda 2030 et localisation des ODD) et un projet urbain pilote par région de l’Union Africaine.

Grace aux débats lors des conférences internationales que nous organisons et la mobilisation de 60 experts pour le programme « Afrique Villes Durables », le constat que nous pouvons formuler aujourd’hui est le suivant : les deux difficultés majeures auxquelles font face les villes africaines sont la gouvernance et la financiarisation de la ville durable. En effet, les collectivités et les gouvernements ont besoin de hiérarchiser les enjeux et les priorités. Le choix des cibles des objectifs de développement durable est un arbitrage politique qui nécessite l’adhésion de la société civile. D’où la nécessité des actions de sensibilisation et aussi des actions de formation à destination des dirigeants, des techniciens et des responsables associatifs. Quant à la financiarisation qui constitue l’enjeu majeur, elle nécessite la mise en place de nouveaux modèles économiques, multi-acteurs et participatifs.

 

4- Le projet pilote de PIKINE de la région Afrique de l’Ouest que vous avez mis en place, pensez-vous qu’il pourra répondre aux enjeux de la gouvernance territoriale et de l’aménagement vu sur le plan régional ?

 

Il s’agit bien d’un projet pilote au Sénégal, sur la ville de Pikine qui est la banlieue de Dakar. Le périmètre de ce projet pilote est sur deux communes : Pikine Nord et Pikine Ouest. Le site du projet étant au voisinage de la rue Dominique, il est dénommé « Site Dominique ». Ce site de 8,5 hectares présente des enjeux variés : réaménagement écologique d’un quartier pré­caire, restructuration d’une école en situa­tion de vulnérabilité face à l’hivernage, inté­gration et mise en valeur du foncier.  Le contexte représente une centralité urbaine bénéficiant d’équi­pements et de services publics à proximité immédiate, encadrée par des axes routiers structurants desservis par les transports en commun. Dans ce contexte précis, notre équipe travaille depuis début 2018 suivant une méthodologie répartie en 4 phases : Diagnostic urbain et enquête de terrain ; Programmation et orientations d’aménagement ; Etude de faisabilité technique et budgétaire ; Montage financier et administratif. Actuellement nous sommes dans la phase 3, c’est-à-dire, étude de faisabilité technique et budgétaire. Nous consultons les entreprises afin de sélectionner les meilleurs offres techniques et innovantes et bien entendu les plus écologiques et économiques. Il s’agit notamment des solutions innovantes en matière d’énergies renouvelables et d’économie circulaire. Ce projet pilote servira comme exemple aux autres territoires de l’Afrique de l’Ouest. Il ne s’agit pas de copier le projet. Il s’agit de suivre la méthodologie mais avec une approche contextualisée. En effet, notre démarche est fondée sur les objectifs de développement durable (ODD). Par conséquent, sur d’autres sites les priorités ne seront pas les mêmes en termes de propositions programmatiques ou d’orientations d’aménagement. Ce projet pilote est un réel exploit avec une approche innovante et participative. Dans le cadre de ce projet, notre équipe a rencontré tous les habitants du site, directement chez eux avec des questionnaires. Des ateliers ont eu lieu à la Mairie de Pikine avec les acteurs locaux. Plus de 25 institutions concernées ont été auditionnées et des ateliers techniques ont eu lieux avec les dirigeants et fonctionnaires. Les élus et les habitants sont très impliqués dans ce projet. De ce fait, un nouveau type de gouvernance participative renforcée est expérimenté avec succès. C’est bien cette méthodologie que nous devons cautionner dans les autres villes et territoires d’Afrique.

 

 

5-A propos du Forum Urbain et Social de la Francophonie, y’aura-t-il l’édition 2019 ? Si oui, qu’attendez-vous particulièrement de cet évènement dont votre association en est le fer de lance ?

 

Nous avons mis en place le Forum Urbain & Social de la Francophonie en 2018 et notre première édition a eu lieu en octobre 2018 lors du Sommet de la Francophone à Erevan en Arménie. Suivant ce schéma et l’agenda du Sommet de la Francophonie, notre deuxième édition aura lieu en Tunisie en 2020. Mais, le Forum Urbain & Social de la Francophonie qui constitue un des programmes d’USF est un espace de réflexions et d’échanges permanents avec nos partenaires des pays francophones. Ce Forum, comme notre coalition internationale de la ville et les territoires durables, dispose d’une plateforme déchanges avec les adhérents et partenaires ainsi que des relais dans les réseaux sociaux.

 

Pour la deuxième édition en 2020 en Tunisie, nous comptons organiser comme pour la 1ère édition, un événement sur 4 jours : conférences, tables rondes ; visites techniques ; expositions… Il s’agit d’un espace d’échanges multi-acteurs favorisant le dialogue et les propositions pour le développement harmonieux des territoires afin de réussir l’émergence des villes inclusives. En effet, la cohésion sociale des territoires est indispensable pour apprendre à vivre ensemble. Lorsque nous aboutissons à cette conquête de l’équité sociale il sera plus facile de développer la ville d’une manière résiliente et durable.

 

6- On attend parler du Sommet Afrique-France en 2020. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Le Sommet Afrique-France a lieu tous les 3 ans. Le dernier a eu lieu en novembre 2017 à Ouagadougou (Burkina Faso). Lors de ce dernier Sommet, le Président de la République Française, M. Emmanuel Macron, a annoncé « Je ferai de la ville durable l’enjeu du prochain sommet entre l’Afrique et la France que j’accueillerai en France, en 2020 ». Ainsi, le Sommet Afrique-France 2020 sur la ville durable aura lieu à Bordeaux du 4 au 6 juin. A cette occasion, nous organiserons également des événements parallèles à Paris et nous donnerons une place d’expression à la diaspora africaine qui est déjà engagée dans ce processus à nos côtés.

 

Nous pouvons féliciter la France pour sa volonté de dédier le prochain sommet à la ville durable. En effet, l’Afrique est le continent le moins urbanisé actuellement. Par conséquent, il dispose d’importants potentiels d’urbanisation. Les effets liés aux défis du développement urbain en Afrique sont considérables sur le développement économique et humain, mais surtout sur l’environnement et le changement climatique. Dans ce contexte, dès début 2018, USF s’est engagé pour la préparation du Sommet Afrique-France 2020 sur la ville durable en partenariat avec des acteurs locaux et régionaux, d’où également le programme « Afrique Villes Durables » dont la démarche et les projets serviront comme démonstrateurs lors du Sommet. Il est important de signaler que, ce sommet a été habituellement consacré aux chefs d’Etat. Mais, pour cette édition de 2020, le souhait de la France est de donner la place à la société civile et faire participer tous les acteurs de la ville à cet événement majeur qui renforce les liens et l’amitié entre la France et l’Afrique.

 

 

7-Quels sont selon vous les priorités des nouvelles projections urbaines en lien avec le climat ?

 

Les risques liés au dérèglement climatique concernent tous les pays du monde, mais surtout les villes côtières. Les pays émergents et les pays en développement subiront ce défi climatique plus lourdement, aggravant la précarité urbaine de certains territoires ainsi que la récurrence des inondations, par exemple. C’est pourquoi, nous parlons de l’urgence écologique et de la nécessité de repenser la ville et les territoires dans une approche globale et prospective. Les villes futures ne ressembleront pas à celles du 20ème siècle. Les besoins énergétiques, des télécommunications, de nutrition, de consommation et du traitement des déchets sont en évolution constante parallèlement à la croissance démographique en Afrique qui serait le continent le plus peuplé en 2100, comportant les 5 plus grandes villes du monde.

 

Face à ces projections, il est urgent d’implémenter le nouvel agenda urbain avec des objectifs ciblés et précis dans le cadre de l’agenda 2030 des ODD. Par conséquent, il faudra planifier et investir pour les énergies renouvelables, l’économie circulaire, l’agriculture saine et urbaine. Il faudra aussi repenser les modes de déplacements, l’aménagement des espaces et paysages urbains en corrélation avec des solutions écologiques contre les inondations et aussi contre les ilots de chaleur. Et au niveau de l’aménagement du territoire, il faudra renforcer le développement des villes intermédiaires afin d’assurer le lien entre les villes, les villages et les zones rurales. Il s’agit ainsi des priorités pour adapter les villes et les territoires au changement climatique mais aussi pour apporter rapidement des solutions innovantes afin d’atténuer le dérèglement climatique.

 

Entretien réalisé par Manfred ESSOME

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Manfred Essome
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Intéressé par les questions internationales, il a pris ses marques en radio et télévision.

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