Kako Nait Ali: “Le recyclage fait partie de la solution mais ne permet pas, à lui seul, de construire une politique de gestion des déchets efficace et pérenne dans une ville ou une agglomération”

Kako Nait Ali: “Le recyclage fait partie de la solution mais ne permet pas, à lui seul, de construire une politique de gestion des déchets efficace et pérenne dans une ville ou une agglomération”

La planète est soumise aux nouveaux facteurs de developpement durable impulsés par les Nations Unies. Parmi les enjeux qui prédominent, se trouvent la lutte contre les déchets plastiques. Ces derniers constituent 70% des déchets marins du monde. Alors que de nombreux acteurs se greffent pour une transformation écoresponsable, le citoyen du monde n’est pas forcément au fait de ce combat au bénéfice de l’environnement. L’invitée de Villes & Communes Kako Nait Ali, Docteur en Chimie des matériaux portant sur le recyclage des bouteilles en plastique, et expert dans le vieillissement et la dégradation des polymères, nous éclaire.

 

1-Le recyclage des déchets plastiques est-elle la réponse miracle pour parvenir aux villes vertes ?

Le recyclage fait partie de la solution mais ne permet pas, à lui seul, de construire une politique de gestion des déchets efficace et pérenne dans une ville ou une agglomération. La création d’une filière de collecte et de traitement des déchets correspond à la mise en place d’un système de tri à la source (chez le consommateur et sur les lieux de consommation), de collecte de ces déchets et leur traitement. Ces traitements peuvent être le recyclage ou la valorisation énergétique. Si tous les déchets collectés ne pourront pas être recyclés, varier les types de valorisation permet d’éviter le dépôt en décharge d’une partie d’entre eux.

La réduction de la quantité de déchets générée par les habitants fait également partie de la réponse à apporter. Eviter autant que possible de générer des déchets, qu’ils soient plastiques ou non, fait partie de la démarche.

Une réponse efficace à la question des déchets nécessite également une sensibilisation du consommateur pour qu’il adhère à la démarche et soit actif dans le processus mis en place. Un tri à la source bien réalisé est un élément clé du succès de la politique de gestion des déchets engagée par la ville.

Deux actions peuvent donc être menées conjointement : réduire la quantité de déchets et mieux les gérer, en s’assignant des objectifs annuels précis et atteignables. Cela correspond aux engagements d’une ville dite « verte », telle que définie dans les référentiels internationaux.

2-De nombreux pays viennent d’interdire l’utilisation du plastique à usage unique notamment les Seychelles, Bahamas, La Nouvelle-Calédonie entre autres, cela résout-il définitivement la question des déchets plastiques ?

L’interdiction de certains produits en plastique à usage unique contribue à réduire la présence de déchets plastiques dans l’environnement. Mais il faut voir la question des déchets plastiques jetables comme la partie émergée de l’iceberg. Elle est visible, elle est médiatique, mais elle ne constitue qu’une partie du problème.

C’est une question plus générale qu’il faut poser : comment réduire l’impact de notre consommation et de notre activité sur l’environnement ? La question est plus générale, et demande une vision globale du problème de création et de gestion des déchets.

Les interdictions permettent de pousser le consommateur et les industriels à changer de comportement, parce qu’il y a urgence. L’évolution des habitudes de consommation est un processus long, mais qui donne des résultats efficaces et durables.

Il est donc important de légiférer sur certains produits ou sur des contextes précis (produits jetables, déchets issus de la construction, etc.) mais il est également nécessaire de communiquer sur ces questions et expliquer les enjeux associés, avec des impacts concrets pour le consommateur. Bien que les interdictions provoquent une évolution des pratiques et des comportements, elles ne résolvent pas à elles seules le problème des déchets.

3-Quelle différence faites-vous entre la valorisation et le recyclage ?

La valorisation est un procédé qui permet d’obtenir, à partir de déchets, un nouveau produit ou de l’énergie.

Dans ce dernier cas, on parle de valorisation énergétique. Les déchets sont incinérés pour en récupérer le potentiel énergétique, convertible en chaleur, électricité ou carburant.

La valorisation matière permet de transformer un déchet en produit. C’est ce que l’on appelle le recyclage. Il est ainsi possible de transformer une bouteille en plastique en une autre bouteille ou en fibre textile à partir d’un processus de transformation thermique ou chimique.

Le recyclage est donc un procédé de valorisation des déchets.

4-Des études révèlent que certaines solutions alternatives au plastique comme le carton, le papier ou des emballages alimentaires sont nocives pour l’environnement et la santé de l’Homme. Dans ce shémas, quelle formule vous semble meilleure ?

Il n’y a pas de matériau neutre en termes d’impact environnemental. La question est de savoir quelle solution est la moins pénalisante sur l’ensemble de son cycle de vie, notamment en termes d’impact carbone et consommation des ressources naturelles. La présence de substances chimiques dans le carton ou le papier ne signifie pas que leur utilisation est dangereuse pour la santé. Lorsqu’un emballage est au contact de denrées alimentaires ou de personnes fragiles comme les enfants, il est soumis à de nombreux tests, avec des critères d’acceptabilité stricts. Ces critères sont fixés par les agences nationales de sécurité sanitaire.

Les études mentionnées ont permis au grand public de se rendre compte que certains matériaux dits inertes pour l’environnement pouvaient contenir des substances chimiques. Mais cela n’est pas nouveau.

Le choix n’est pas simple et il est nécessaire de bien expliquer aux consommateurs les impacts des matériaux qui peuvent substituer le plastique.

Face à toutes ces questions, la notion d’éco-conception a émergé. Elle est la volonté de produire en prenant en considération les impacts sur l‘environnement de la fabrication, de l’utilisation et de la fin de vie d’un déchet. Elle s’inscrit dans le cadre du développement durable, par l’utilisation de ressources renouvelables ou issues du recyclage. Ce principe est essentiel lors de la recherche de substituts au plastique. Il permettra de prendre en compte non seulement les impacts environnementaux, mais aussi comportementaux et sociétaux.

5-Dans un monde de plus en plus capitaliste, est-il possible pour vous de se tourner vers des industries totalement écoresponsables ?

C’est une question complexe. Une société éco-responsable reposant sur une consommation mesurée pourrait être considérée comme contraire aux principes du capitalisme. Mais l’investissement dans une économie responsable qui s’inscrirait dans une démarche durable n’est pas totalement contradictoire avec le profit.

Concernant les industriels, l’éco-responsabilité n’est pas seulement une question d’éthique ou d’image auprès du consommateur. C’est aussi une question de compétitivité et d’optimisation de son processus de fabrication. L’utilisation de nouvelles ressources de matières premières, pour celles qui produisent, est un gage d’efficacité économique, un investissement qui se veut durable.

L’anticipation des contraintes règlementaires associées au développement durable est une manière de planifier l’avenir de l’entreprise et d’investir. Elle lui donne une visibilité sur l’avenir de son activité. Il est indispensable par ailleurs que ces évolutions réglementaires ne soient pas locales, mais bien partagées à l’échelle internationale, afin qu’elles ne soient pas contournées.

Sur ces questions, les entreprises ont déjà commencé à s’adapter aux évolutions sociétales et règlementaires.

6-Quelle projection faites-vous de l’économie circulaire à base des plantes naturelles ?

L’économie circulaire est une vision non-linéaire du système économique, visant à limiter l’impact environnemental d’un produit, tout en optimisant chacune des étapes qui le constitue, notamment l’utilisation des ressources naturelles, le prolongement de la durée d’utilisation et la réutilisation ou le recyclage du produit. Elle est souvent représentée comme une boucle fermée.

Les produits à base de plantes naturelles peuvent entrer dans ce cadre, mais il est nécessaire de prendre en considération les alertes du GIEC concernant la gestion durable des sols. Les matières dites naturelles peuvent entrer dans une économie circulaire plus neutre pour l’environnement et l’utilisation durable des sols si elles sont issues de sous-produits de l’agriculture ou de l’agro-alimentaire. En effet, si une partie même infime des plastiques utilisés actuellement étaient remplacés par des matières naturelles, issues de plantes, la consommation en ressources naturelles, même renouvelables serait considérable.

Quel que soit le matériau utilisé, qu’il soit plastique ou substitut, la question de son impact doit se poser, avec pour objectif de se questionner sur notre consommation, nos comportements et la manière dont nous souhaitons rendre à la nature ce qu’elle nous offre.

Entretien réalisé par Manfred ESSOME

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Manfred Essome
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Intéressé par les questions internationales, il a pris ses marques en radio et télévision.

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