Douala : La vie sans les “cargos”

Douala : La vie sans les “cargos”

Ce principal moyen de locomotion de la capitale économique du Cameroun a été hors de la piste depuis octobre 2014. Ce qui a fortement modifié les habitudes des populations.

Quatre mois déjà que le véhicule de marque Mercedes Benz MB 100 D, sorti de l’usine pour la premiere fois en 1981 ne circule plus dans les artères de la ville de Douala. Matin et soir, ce sont de longues files d’attente, l’angoisse du retard, et quelquefois des scènes de bousculades, qui noircissent le tableau des points de chargement et d’embarquement. Notamment sur les longues distances que couvraient les « cargos ». Une véritable occasion à plusieurs inconnues désormais pour les habitants. Quel mode de transport adopter ? Quel coût du déplacement ? Quelle durée du trajet ? Voilà des interrogations qui perturbent le quotidien des citadins de la ville de Douala.

A Ndokoti, à Bonaberi, au lieu-dit « Ancien Dalip », au marché central ou encore à PK 14, les passagers se comptent par centaines. Impatients, les uns sont obligés de négocier un tarif exorbitant avec les conducteurs de mototaxis. D’autres se bousculent à chaque arrêt d’un taxi. D’ailleurs en l’espace de quelques secondes, la voiture de couleur jaune est immédiatement occupée et remplie. Mais d’autres sont obligés d’attendre inlassablement les bus de la la Société de transport urbain (SOCATUR) qui opère en partenariat avec la Communauté Urbaine de Douala. C’est la catégorie la plus touchée par la suspension des « cargos ». Ils n’ont pas de choix. Il est question de traverser toute la ville pour rallier qui son bureau, son comptoir, ou encore son école, explique un citoyen qui fait la queue devant une ancienne version de la SOCATUR. La plainte est identique chez les usagers. «Avant, je payais en tout 400 FCFA pour faire l’aller-retour entre mon domicile et mon lieu de travail. A présent, c’est 1000 FCFA en taxi, et au moins 1200 FCFA en moto, si j’accepte qu’on me bâche (surcharge de plus de deux passagers, principe à la mode, Ndlr) ». « Le bus est moins cher, mais trop lent », hurle un autre passager. « A certaines heures de la journée, les bus ne passent même pas », s’indigne un autre. Après la suspension des « cargos » les citoyens de la ville de Douala sont donc désemparés face à la modification subite de leur budget transport.

Pas d’alternatives

Cette suspension n’est pas une aubaine pour le développement des autres modes de transport. L’activité des taxis ne semble pas avoir connu une embellie, du moins pas à la mesure de ce qu’on aurait pu attendre, explique un chauffeur. En effet quoique certains se soient mis sur les lignes que desservaient les « cargos », les autres n’y trouvent pas leur compte et préfèrent rester sur leurs lignes traditionnelles. Pour M. Nguimbous, chauffeur de taxi dans la zone de Bonaberi, une des zones industrielles de la principale place industrielle du pays, « il fallait s’y attendre. De toute manière, les « cargos » n’ont jamais été des concurrents des taxis. Chacun avait ses clients : les motos pour les courtes distances, les urgences, et les routes de bas quartiers ; les taxis pour les distances moyennes, le confort et la sécurité ; les «cargos» pour les longues distances à faible coût ; enfin le bus, pour ceux qui ne sont pas du tout pressés ». D’ailleurs, il précise que certains de ses collègues de Bonaberi, ne traversent jamais le pont sur le Wouri, et pour ceux qui le font, ils ne vont pas plus loin qu’au Feu Rouge de Bessengue. Alors cargo ou pas « cargo », c’est presque la même chose. Les gens ne veulent pas payer double, alors que le trajet que couvrait les «cargos» requiert deux taxis au moins », regrette-t-il. Cible principale de la mesure de suspension, de nombreux acteurs impliqués dans la conduite des cargos subissent de plein fouet les effets de la décision préfectorale signé au début du dernier trimestre 2014. Comme des ex-employés d’une entreprise ayant fermé boutique, ces jeunes pour la plupart se retrouvent aujourd’hui sans emploi. Leur reconversion prend plusieurs formes. Certains se retrouvent au volant d’un taxi, d’un camion, ou encore des cars de voyage pour les uns. D’autres se sont lancés dans des petits commerces.

L’absence de gagne-pain quotidien a aussi ouvert la voie à la délinquance dans certains secteurs, susurre-t-on dans les artères de la ville de Douala. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs fait l’objet d’interpellation, et sont détenus à la prison centrale de New Bell, explique sous anonymat, un ancien propriétaire de plusieurs cargos dans la ville.

Perte de recettes fiscales

Pierrot Wondje, président du point de chargement de Bonaberi et membre du SNCHAUTAC, un syndicat de transport urbain, les pertes sont énormes : « notre amicale avait 110 cargos sur la ligne Bonaberi-Marché central, et 80 sur Bonaberi-Ndokoti. Chaque véhicule avait quatre membres d’équipage, à savoir deux chauffeurs et deux convoyeurs, qui travaillaient en alternance. Rien que sur ces deux lignes, 760 personnes avaient du travail. Par ailleurs, la recette journalière officielle par cargo était de 15 000 FCFA. En quatre mois notre manque à gagner avoisine les 300 millions FCFA. Plus d’une centaine de nos véhicules pourrissent aujourd’hui dans les fourrières de Youpwe et Logbaba, alors qu’ils auraient pu, par exemple, être redéployés sur les périphéries de la ville, pour servir à l’acheminement des vivres frais depuis les zones enclavées. La suspension a fait suite à l’accident meurtrier survenu à PK 8. « Le camion qui a endeuillé plusieurs familles en perdant ses freins à Ndokoti n’a valu qu’une suspension de quelques jours à ces opérateurs, explique-t-on dans les syndicats de transport. Après les incidents de Deïdo, les mototaxis se sont vus interdire l’accès à certains points de la ville. On ne les a pas suspendus ! Il y a eu comme un complot contre les cargos, en faveur de la SOCATUR et la Communauté Urbaine. Sinon comment expliquer le logo de la Communauté Urbaine de Douala sur les minibus mis en circulation par SOCATUR immédiatement après notre suspension ? La situation n’est pas du tout agréable de notre côté », s’indigne le responsable syndical.

Un manque à gagner aussi dans les caisses des communes. Car, pour chaque cargo en circulation, les caisses municipales devaient recevoir 15 000 FCFA par trimestre, en guise d’impôt libératoire et taxe de stationnement. « Même si nombre des assujettis n’étaient pas pressés de s’acquitter de ces impôts, c’est tout de même une perte non négligeable pour les cinq mairies de Douala, d’autant plus qu’aucune mesure de compensation n’a été prise par les autorités compétentes », souligne un agent communal sous anonymat. Les services municipaux commencent à apprendre à se passer de cette source de recette.

Insécurité dans les bus

Depuis la suspension des cargos, la SOCATUR n’a pas pu se montrer à la hauteur de la forte demande. En effet, même si certains bus qui officiaient sur des lignes à faible densité ont été réorientés vers les lignes prioritaires que desservaient les « cargos », avec un réaménagement du temps de travail, le problème reste entier. Leur nombre limité, leur irrégularité en journée, leur tendance à tomber en panne à tout moment, et la surcharge qui augmente le risque pour les passagers de se faire soutirer portefeuille ou téléphone portable.

Pour pallier à ce risque d’insécurité, la SOCATUR a mis en circulation depuis quelques mois, des minibus flambant neuf, climatisés et avec 100% de places assises. Ce qui ne comble pas les attentes des populations. Ces derniers les trouvent trop étroits avec un maximum de 18 passagers et une très faible capacité à transporter des bagages. Ils ne sont d’ailleurs pas présents sur toutes les lignes. Pour le moment, on les retrouve sur la ligne Bonaberi – Rond-point Deido. « Les choses devraient s’améliorer bientôt », laisse-t-on entendre du côté de Ndokoti, au QG de la société de transport urbain. Pour les populations désemparées, il ne reste plus qu’à croiser les doigts et attendre. La suspension des cargos fait suite à une décision du 15 octobre 2014 signée par le préfet du département du Wouri, Nassiri Paul Béa. Les chauffeurs récalcitrants ont vu leur véhicule de transport en commun saisi et mis en fourrière. C’est le début d’un nouvel épisode dans le transport urbain dans cette ville de plus de trois millions d’habitants. Ce d’autant plus que depuis la fin des années 2010, l’Etat encourage davantage la circulation des véhicules de moins de sept ans d’âge dans les artères des villes camerounaises.

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Auteur

Kamdem Souop
Kamdem Souop 343 Articles

Écrivain, éditeur et spécialiste de communication sur le changement de comportement social, il a dirigé le journal en ligne www.villesetcommunes.info et la WebTv www.villesetcommunes.tv de 2011 à 2020.

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