Marilyn Douala Manga Bell: la princesse qui règne à doual’art
Un article du Monde, dans sa livraison du 14 mars dernier, rend hommage à Marilyn Douala Manga Bell, la directrice de l’espace culturel doual’art.
Pour exposer l’art contemporain en Afrique, il faut savoir être seigneur ou guerrier : se battre chaque jour pour rappeler que ce qui peut paraître “superflu”, sur un continent qui a bien d’autres priorités, relève en fait de l’essentiel. Marilyn Douala Manga Bell est un peu des deux : princesse de sang, la petite-fille du dernier roi de Douala, pendu par l’Empire allemand, est aussi combattante dans l’âme. Elle dirige depuis 1991 l’un des centres d’art contemporain les plus dynamiques du continent : doual’art (doualart.org), installé dans un cinéma désaffecté, au cœur de l’ancien quartier colonial de Bonanjo.
Les expositions s’y succèdent à un rythme effréné, la bibliothèque est sans doute la plus pointue en art de tout le Cameroun, et les soirées y sont aussi constructives que joyeuses. Le tout dans l’indifférence totale des pouvoirs publics. Pourtant, en fondant une triennale destinée à réfléchir aux “nouvelles pratiques urbaines”, elle a lancé une réflexion inédite sur la ville, son histoire et son fonctionnement. Et invite des artistes à faire fructifier cet élan, en produisant des œuvres dans l’espace public. Une dizaine d’entre elles ont aujourd’hui été offertes par doual’art à la cité indifférente. Pas pour décorer les rues : pour éveiller les consciences.
Déséquilibre
Ainsi ce géant composé de matériaux de récupération et posé en plein carrefour par l’artiste Joseph Francis Sumégné : il est en déséquilibre sur un pied, vacillant, afin de rappeler, selon Marilyn, “que la liberté est fragile et se conquiert à chaque instant”. Parole qui porte dans un pays dirigé depuis trente ans par un même Paul Biya.
Doual’art a fait aussi installer des panneaux explicatifs devant les principaux lieux d’histoire de la ville : de la “pagode” érigée pour les derniers rois jusqu’à l’hôpital autrefois réservé aux Blancs, cœur d’un célèbre épisode du Voyage au bout de la nuit de Céline, en passant par la chambre de commerce, l’histoire de la triple colonisation allemande, française et britannique est analysée sans complaisance.
“Nous désirons lutter contre la stratégie d’amnésie mise en place par l’Etat, revendique avec force Marilyn. Il y a beaucoup de résistance à ériger des monuments à nos héros nationaux. Le mouvement nationaliste a été violemment réprimé, et les acteurs de cette violence sont au pouvoir, guère désireux de donner aux gens les repères qui leur permettraient de se soulever. C’est pourquoi nous prenons en charge ce que ne disent pas les manuels scolaires”.
Pauvreté
Autre motif de fierté, leur action téméraire au cœur de la ville. Là, un arbre à palabres sculpté dans la ferraille et la verroterie offre un lieu de repos au milieu d’un petit square. Dans un quasi-bidonville privé d’eau, une fontaine architecturée. Plus loin, sur les hauteurs donnant sur le fleuve Wouri, un jardin sonore dont la poésie détonne avec la pauvreté de l’aménagement urbain. Posé sur une ancienne décharge que les riverains ont dégagée pour l’accueillir, il a été conçu par l’artiste belge Lucas Grandin en 2010 : une tour de bois à deux étages, à demi recouverte de plantes de mangrove en pot. Un ingénieux système d’arrosage fait tomber doucement les gouttes dans des boîtes de conserve, produisant un doux cliquetis. Tout le quartier a participé à sa construction, et se veut aujourd’hui responsable de la maintenance. “C’est un lieu romantique, où l’on vient oublier nos soucis, dit un habitué. Certains habitants ne comprenaient pas l’intérêt d’être perché si haut. Mais pour tous ceux qui essaient de voir un peu plus loin, c’est beau, c’est chic.” Et c’est l’une des rares vues que Douala offre sur son fleuve négligé. Autrefois, avant les colons, le Wouri était le cœur battant de ce bourg de pêcheurs piroguiers. Arrivés à la fin du XIXe siècle, les Allemands lui tournent le dos. Depuis, les habitants l’ont oublié. Pour la prochaine édition de sa triennale, baptisée “Sud”, en décembre 2013, doual’art a lancé toute une réflexion sur un retour possible au fleuve, et rêve de pro- poser un aménagement possible des rives de Bonanjo.
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