La formation des RH territoriales: “ Les élus doivent être formés au leadership ”
Bachir Mamadou Kanoute, Coordonnateur de Enda Ecopop (Sénégal)
En plus d’être le Coordonnateur d’Enda Ecopop, il est aussi le point focal de l’Observatoire de la démocratie participative en Afrique qui est en train de se mettre en place dans plusieurs pays du continent.
Qu’est-ce que Enda Ecopop et comment est-ce né ?
Enda Ecopop est une organisation de la société civile, membre du réseau Enda Tiers-monde qui est un réseau international composé d’une multitude d’organisations du tiers monde et Ecopop que je dirige est un des membres de ce réseau. Ecopop travaille sur les questions de gouvernance, de développement local et de décentralisation, et est présent dans 9 pays d’Afrique francophone et à deux ou trois reprises nous avons fait des incursions jusqu’en Haïti pour accompagner le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales dans la formation des élus au leadership local. Mais notre ancrage, c’est l’Afrique francophone. Ecopop est «l’Espace de coproduction des offres publiques» pour l’environnement et le développement en Afrique.
Pour vous le budget participatif n’est pas simplement un outil de programmation, mais aussi et surtout un remède contre l’incivisme fiscal. Pourquoi ?
En Afrique, on est dans un cercle vicieux : les autorités locales ont du mal à mobiliser l’impôt parce que les citoyens ne payent plus l’impôt ; et le citoyen de son côté ne paie plus l’impôt parce qu’il ne sait pas où va cet argent. Et nous avons pensé que le budget participatif est un des outils qui permet exactement de rompre ce cercle vicieux, en faisant en sorte que les populations contribuent au paiement de l’impôt, à la collecte des recettes mais en même temps qu’elles déterminent vers quoi iront ces ressources mobilisées. C’est un remède parce que par le passé ce n’était pas le cas. L’argent était récupéré par les services de l’Etat et finançait des investissements qui n’étaient pas les priorités des populations. C’était notamment des investissements de prestige, des grands ouvrages et des grands équipements qui ne répondaient pas aux besoins et aux préoccupations des populations. Alors le budget participatif participe à inverser l’ordre des priorités et faire en sorte que les priorités des populations puissent être inscrites dans le budget qui est le financement concret des investissements allant dans le sens de la prise en charge des besoins essentiels des populations pour leur résolution.
Dans vos différentes interventions et publications, la participation est au cœur de la gouvernance locale. Pourtant certains observateurs estiment qu’il y a une redistribution du pouvoir au niveau local davantage en faveur de la société civile plutôt qu’en faveur des populations à la base. Que répondez-vous à cela ?
Quand on dit population, peut-être il ne faudrait pas le mettre en antagonisme par rapport aux citoyens et à la société civile. La société civile est un réseau d’organisations partant des populations et qui en sont l’émanation à travers des groupements de femmes ou des associations de jeunes. Ce sont ces organisations de base qui se fédèrent pour constituer la société civile. La société civile est par conséquent une forme avancée d’organisation. Et quand cette société civile se bat, je pense que c’est essentiellement sur des enjeux qui partent des quartiers, qui partent des populations qui vivent dans les zones les plus difficiles. Je donne un exemple : il y aune dizaine d’années, au Sénégal, des associations de jeunes se sont organisées à partir de leurs quartiers pour conquérir la ville. Par des graffitis, ils inscrivaient des slogans pour attirer l’attention des décideurs. Ces associations de jeunes sont devenues aujourd’hui ce qu’on appelle des organisations de la société civile au Sénégal et qui sont les porte-étendards des préoccupations, des discours des populations. Ces porte-étendards portent ces discours au niveau des décideurs publics, les mettent sur la table comme base de discussion avec les décideurs pour faire avancer les choses. Là, on ne peut pas dire qu’il y a antagonisme.
Vous êtes essentiellement un formateur. Ne pensez-vous pas qu’au lieu de former les élus locaux en session de courte durée comme cela est l’usage, il serait plus avantageux de former les secrétaires généraux et les receveurs municipaux moins enclins à subir les foudres des électeurs ?
Nos formations portent au moins à trois niveaux : il y a les formations de courte session pour les élus ; il y a les formations de ceux qu’on peut appeler les conseillers ou facilitateurs en budgétisation participative qui sont des formations de deux semaines ; il y a enfin la formation des décideurs publics, notamment les secrétaires généraux, les conseillers techniques des ministères, etc. qui sont davantage des sessions d’information pour qu’ils puissent comprendre ce qui se fait en matière de budgétisation participative, surtout pour l’articuler avec les dispositifs étatiques en matière d’élaboration et de validation budgétaire. On a donc ces trois catégories de formation à l’échelle africaine.
Toujours comme formateur, vous avez eu une expérience au Cameroun. Pouvez-vous nous en faire l’économie ?
Cette expérience sur le Cameroun, c’était un grand programme de formation des décideurs publics en leadership local. Il avait été initié grâce à l’appui du Programme des Nations Unies pour les Etablissements Humains (Onu-Habitat), du Programme des Nations Unies pour le Développement (Pnud), avec le soutien du Fonds spécial d’Equipement et d’intervention intercommunale (Feicom), du Centre de formation en administration municipale (Cefam), sous le leadership du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (Minatd) qui était le maître d’œuvre. Ce programme partait du constat que n’importe qui peut être élu par le biais des élections locales. Cet élu n’est souvent pas doté des capacités lui permettant d’impulser le développement local, de faire de travail de l’élu local tel qu’attendu. Il y a des formations sur les textes de lois. Mais cela ne suffit pas de maîtriser tous les textes, car il y a des notions de négociation, de communication, d’animation d’équipe, de management qui sont attendues de l’élu local. S’il n’a pas appris, il ne pourra pas le faire. Cette formation en leadership local avait pour but de répondre à ces questions, et de former tous les décideurs locaux, élus ou non, en leadership local. Ce programme a tenu pendant trois ans et a donné des résultats notamment la production d’un manuel de formation adapté au contexte national, une trentaine de formateurs des élus locaux qui avaient été mis à disposition du Feicom, du Cefam, de la Direction des collectivités territoriales décentralisées du Minatd, des Communautés urbaines de Douala et Yaoundé. Même des préfets avaient été formés.
Tous ces produits ont été mis à la disposition du Cameroun et on a commencé la formation des élus locaux sur huit provinces, je crois. Ce programme s’est malheureusement arrêté il y a cinq ans. Ce que je déplore, car c’était un programme porteur qui a donné des résultats et qui aurait dû se poursuivre. Cela est d’autant plus déplorable que tous les cinq ans il y a des élections locales, de nouveaux élus arrivent à la tête des collectivités locales. Il aurait fallu les renforcer pour qu’ils soient à la hauteur des tâches qui les attendent. Je pense qu’avec les autorités camerounaises, il faudra discuter pour savoir où se trouve le blocage et comment relancer le programme. Au niveau de l’institution d’ancrage, notamment le Cefam qui assure la formation des personnels communaux, l’on pourrait trouver une formule qui permette de poursuivre cette formation en leadership local. Ce serait dommage qu’après avoir atteint de tels résultats, ceux-ci ne soient pas perpétués.
Quel regard l’urbaniste que vous êtes porte-t-il sur l’usage que l’Afrique fait de ses urbanistes ?
Je dois le constater pour le déplorer : malheureusement en Afrique, l’urbanisation a trop devancé l’urbanisme. Regardez ce qui se passe dans nos villes : on laisse les populations s’installer ; et quand elles sont installées, on laisse un an, deux ans, voire dix ans avant de leur dire qu’il faut restructurer. On ne mesure pas le coût financier et surtout le coût social de la restructuration, le déplacement des populations, les dédommagements, la dislocation des liens sociaux, etc. Je le constate pour le déplorer. Je pense qu’en Afrique, malheureusement l’urbanisme n’est pas encore bien intégré dans les politiques. Si les urbanistes, de par leur formation, ont toutes les compétences pour le faire, la volonté politique manque encore au niveau des décideurs. Si la volonté politique existe, le courage politique pour prendre les décisions et les faire appliquer manque. Et les coûts, on les perçoit dans plusieurs villes africaines aujourd’hui. Quand vous allez à Ouagadougou ou à Dakar, avec les inondations les quartiers sont engloutis sous l’eau, des quartiers qui sont localisés dans des zones où il ne fallait pas habiter. Mais l’Etat avait laissé faire, les populations s’y sont installées et l’hivernage revenant avec les changements climatiques, aujourd’hui ça fait des coûts financiers et sociaux extraordinaires.
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