Débat : Notre expert, Dr Jean Paul Um s’exprime sur le Covid-19

Débat : Notre expert, Dr Jean Paul Um s’exprime sur le Covid-19

Ce médecin généraliste de 57 ans, promotion 1989 du Centre universitaire des sciences de la santé (Cuss) de l’Université de Yaoundé, directeur d’un clinique privée à Mbalmayo, va désormais animer une série de débats sur www.villesetcommunes. Pour ce premier débat, il s’exprime sur la pandémie qui sévit dans le monde.

La pandémie de coronavirus fait des ravages dans le monde. Comment comprendre notre vulnérabilité en tant qu’individus face à ce virus ?

Notre vulnérabilité somme toute relative vient de la nouveauté du virus. Lorsque l’organisme est agressé par une structure simple comme un virus, sa réactivité est tributaire des antécédents. La rapidité de la défense de l’organisme est tributaire des combats antérieurs que l’organisme aurait conduits contre des structures similaires. Plus la mémoire immunitaire sera vive, plus vite l’envahisseur sera éliminé. Lorsque qu’il n’y a pas de mémoire du tout, il y a une course qui s’engage entre l’envahisseur et le système de défense de l’organisme, l’immunité. Celle-ci va mettre en branle les globules blancs dont les différents types sont spécialisés, qui dans le renseignement, qui dans la pose des barrières physiques, qui dans la sécrétion des anticorps dirigés contre telle partie de l’envahisseur, etc. La mort survient lorsque l’envahisseur réussit à perturber ou à anéantir des fonctions vitales de l’organisme avant que le système immunitaire ne prenne le dessus. Aussi, l’état même du système immunitaire est un facteur qui devient plus important que les antécédents. Soulignons que le but de l’envahisseur n’est pas la mort de son hôte, c’est un acteur “aveugle” qui ne sait que se reproduire.
J’ajoute que j’ai parlé de notre vulnérabilité relative plus haut, parce qu’avec le covid19, on constate que naturellement, la grande majorité de ceux qui sont infectés ne présentent aucun symptôme, et seule une minorité en meurt. La dangerosité du covid19 vient de sa vitesse de propagation qui est telle que la petite minorité très vulnérable cumule très vite un nombre si important que les services de santé ne peuvent plus satisfaire la demande de soins. C’est pourquoi tout le monde doit se sentir concerné et s’approprier les mesures barrières édictées par le gouvernement.
Laisser la maladie courir, c’est en fait courir le risque de voir notre système de santé paralysé, devenir incapable de s’occuper même des problèmes qui faisaient jusqu’alors son quotidien.

Le covid19 tue beaucoup aux Etats-Unis, notamment au sein de la population afro-américaine. Y a-t-il une explication rationnelle à cela ?

Comme je l’ai dit plus haut, covid19 est une “nouveauté” pour le monde et cela l’est encore plus pour les Etats-Unis. Le sujet sera certainement le thème de plusieurs ouvrages dans les semaines ou les mois qui viennent. Le covid19 a mis à nu la faiblesse de l’Assistance Publique aux Etats-Unis. Cela se voit aussi à travers les couches qui sont les plus touchées par le chômage. Le fort impact sur la population afro-américaine tient très probablement de la situation économique de cette population qui malheureusement a du mal à s’organiser comme communauté dans un environnement où pourtant les autres populations s’organisent en communautés. Étant donc la population la plus pauvre, elle est celle qui va mécaniquement le plus subir des situations catastrophiques. En attendant les données de diverses études et recherches médicales et sociologiques, l’explication rationnelle est qu’en toute circonstance sociale, riches et pauvres ne sont pas au même pied d’égalité.

Des études semblent mettre à jour l’implication d’une bactérie intestinale dans la virulence du covid19. C’est d’elle que viendrait la différence entre les enfants et les personnes âgées, les obèses et les non obèses. Or on sait que le régime alimentaire influence la structure de la flore intestinale. Et le régime alimentaire est souvent différent selon les classes sociales. Les populations afro-américaines seraient ainsi victimes de la “malbouffe”. Ceci pourrait être une des explications à une certaine “résistance” des populations africaines. Cela ouvre aussi de nouvelles perspectives qui pourraient complètement dénier de tout intérêt la recherche d’un vaccin. Mais en attendant une réponse définitive à tout ça, le respect scrupuleux des diverses mesures préconisées reste de mise.


Le gouvernement camerounais a pris un certain nombre de mesures pour lutter contre la pandémie, puis a décidé d’un assouplissement de certaines. Quelle appréciation en faites-vous?

Toutes les mesures prises par le gouvernement camerounais reposent sur des fondements scientifiques, donc logiques. Elles s’accompagnent d’une communication très présente dans tous les médias. Je ne peux donc qu’en avoir une appréciation très favorable.
Mon problème avec ces mesures, c’est l’appropriation de ces mesures par la population. En juillet 2017, j’avais écrit une tribune dans un journal de la place où je dénonçais le fait que nous vivions dans un paradigme de distanciation constante entre les gouvernants et la population. Si cette pandémie ne déclenche pas une déprogrammation mentale du paradigme néocolonial au profit d’une programmation de la prise en main propre de notre avenir, alors les sacrifices consentis auront été vains.

Tenez par exemple, la mesure de la production locale de médicaments, gels hydroalcooliques et masques. Tous les citoyens devraient se sentir interpellés, chacun selon ses compétences et capacités financières propres. Cette mesure devrait très vite déborder le seul champ de la santé et s’étendre sur toute l’activité économique. Mais sa réussite repose grandement sur les attitudes des “privilégiés” qui devront renoncer à s’approvisionner prioritairement avec des produits importés ou à se faire évacuer pour des accès de paludisme.Pour ce qui est de l’assouplissement des mesures, en raison des informations dont je dispose actuellement, j’aurais tendance à dire qu’il a été prématuré d’assouplir mesures barrières. Le gouvernement est certainement mieux outillé que moi pour justifier la prise d’une telle décision et, tout compte fait, on en verra les conséquences dans les deux à trois prochains mois. Mais qu’à cela ne tienne, cette décision met chaque citoyen devant ses responsabilités et “trahit” la faiblesse de la structure de l’économie nationale. Les citoyens doivent comprendre que leur vie n’est pas ou ne doit pas être suspendue à un décret présidentiel. Qu’on doit se priver de plaisirs immédiats pour prétendre à une sérénité à long terme. Cette crise fait jaillir une sorte de paradoxe qui veut que pour s’en sortir sans trop de casses, il faille être individuellement fort mais aussi solidaire de nos semblables. C’est vérifiable tant au niveau des individus que des Etats.

Cette crise appelle à réfléchir sur le poids du secteur informel dans notre économie. C’est lui qui produit l’essentiel des caches nez et des gels hydroalcooliques. Tout en rappelant que ces productions doivent répondre à des normes, il serait de bon aloi que le gouvernement mette en place un plan d’accompagnement des producteurs artisanaux afin que le maximum d’entre eux sortent de l’informel à bref délai. C’est un exemple parmi tant d’autres.


Quel regard posez-vous sur l’annonce de trouvailles de médicaments en Afrique?

Pour ce qui est des annonces de trouvailles de médicaments en Afrique, cette question chatouille les egos sur le continent. C’est l’occasion rêvée pour que les complotistes ecornent l’image de l’OMS ainsi que les praticiens de la médecine occidentale comme moi.

L’OMS a certes livré le flanc à ses pourfendeurs, car jouissant de la présomption d’infaillibilité, elle ne s’est pas excusée pour ses premières prises de position sur le port du masque. Mais elle est dans son rôle que de rejeter tel ou tel médicament. Car pour être admis comme tel, une substance ou une association de substances doit avoir subi avec succès un certain nombre d’examens. Le tout premier est la preuve que ce médicament a effectivement changé l’histoire naturelle de cette maladie dont 80 à 85% de ceux qui sont atteints ne présentent pas de symptômes. Avant d’en connaître la composition, ses mécanismes d’action, faudrait-il encore nous prouver que sa prise réduit significativement la morbidité et ou la mortalité en comparaison de tel placebo ou tel protocole utilisé.
Nous devons aussi savoir qu’on peut classer les médicaments en diverses catégories : ceux qui traitent la cause, ceux qui traitent les symptômes, ceux qui “soutiennent” l’organisme, etc. Il est de bon ton que l’on sache où mettre tel médicament annoncé. Ceci dit, soulignons qu’il n’y a pas que les médicaments qui soignent la cause qui sont utiles au malade.
Avant de revendiquer donc l’universalité d’un médicament même sous la forme la plus archaïque, il faudrait modestement admettre qu’il passe des tests. Toutefois, quand je suis convaincu des bienfaits de telle combinaison qui m’a été indiquée par grand mère, je n’attends pas l’avis de l’OMS.
Mais je crains que ces annonces et l’enthousiasme même des chefs d’États africains soient des cache-sexe de la nudité de nos systèmes de santé et de la recherche qui va avec. Il est trop facile de clamer qu’on a trouvé un médicament pendant que les budgets alloués à la recherche et la santé sont les plus maigres de nos pays. Nous mettons de colossales sommes pour construire des stades et faire la fête, sans pouvoir espérer être champions du monde. Pourtant, si seulement le dixième était consacré à la recherche, l’Afrique disputerait sans complexe le championnat du monde de la recherche.
Quelle analyse faites-vous de la prise en charge médicale des patients camerounais? Quelles leçons peut-on en dégager ?

Je ne suis pas en première ligne pour le moment, mais il me revient des confrères qui y sont que cette prise en charge est à l’image du pays, qui est pauvre. Les soignants ont juste le minimum de protection qu’il faut, il n’y a pas assez de tests, de chloroquine, etc. L’indigence de notre système de santé ne date pas de l’apparition du covid19. Et ce n’est pas en trois mois qu’on bâtit un système de santé efficace.

Les leçons à dégager de cette situation sont telles qu’on en ferait de nombreux livres sans les épuiser, mais elles peuvent se résumer en quelques phrases. Soulignons qu’il serait bien malin de se lancer dans le blâme tel ou tel acteur de la société. Chaque société a le système de santé qu’elle mérite. La leçon c’est que nous sommes dans un paradigme d’échec. Il faut le changer. Il faut consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons. Tant en ressources humaines que matérielles.

Dans un environnement aussi fortement informalisé que celui du Cameroun, que peuvent faire les Camerounais pour survivre en ces temps difficiles ?

Que les camerounais consomment ce qu’ils produisent et qu’ils produisent ce qu’ils consomment. Pour bien comprendre la nécessité de produire ce que nous consommons, rappelons que la plupart des pays ont fermé leurs frontières, des médicaments hier usuels ont pris une valeur stratégique. Des Etats ont “braqué” des cargaisons destinées aux pays voisins. Pendant que le Président français Emmanuel Macron nous donnait l’illusion de se préoccuper du sort des africains, l’Agence nationale française de sécurité du médicament (ANSM) interdisait aux grossistes répartiteurs français l’exportation de médicaments sensibles tels que les anesthésiques, hypnotiques, antibiotiques, etc.

En d’autres termes, la sagesse voudrait qu’on ne compte plus sur nos “amis”, car c’est devenu le sauve qui peut !

Propos recueillis par Kamdem Souop

Précedent Décentralisation : Seul 1,32% des recettes de l’Etat alloué aux Communes en 2020
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Auteur

Kamdem Souop
Kamdem Souop 343 Articles

Écrivain, éditeur et spécialiste de communication sur le changement de comportement social, il a dirigé le journal en ligne www.villesetcommunes.info et la WebTv www.villesetcommunes.tv de 2011 à 2020.

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