Débat : Notre expert, Dr Jean Paul Um s’exprime sur le Covid-19
Ce médecin généraliste de 57 ans, promotion 1989 du Centre universitaire des sciences de la santé (Cuss) de l’Université de Yaoundé, directeur d’un clinique privée à Mbalmayo, va désormais animer une série de débats sur www.villesetcommunes. Pour ce premier débat, il s’exprime sur la pandémie qui sévit dans le monde.
La pandémie de coronavirus fait des ravages dans le monde. Comment comprendre notre vulnérabilité en tant qu’individus face à ce virus ?
Le covid19 tue beaucoup aux Etats-Unis, notamment au sein de la population afro-américaine. Y a-t-il une explication rationnelle à cela ?
Comme je l’ai dit plus haut, covid19 est une “nouveauté” pour le monde et cela l’est encore plus pour les Etats-Unis. Le sujet sera certainement le thème de plusieurs ouvrages dans les semaines ou les mois qui viennent. Le covid19 a mis à nu la faiblesse de l’Assistance Publique aux Etats-Unis. Cela se voit aussi à travers les couches qui sont les plus touchées par le chômage. Le fort impact sur la population afro-américaine tient très probablement de la situation économique de cette population qui malheureusement a du mal à s’organiser comme communauté dans un environnement où pourtant les autres populations s’organisent en communautés. Étant donc la population la plus pauvre, elle est celle qui va mécaniquement le plus subir des situations catastrophiques. En attendant les données de diverses études et recherches médicales et sociologiques, l’explication rationnelle est qu’en toute circonstance sociale, riches et pauvres ne sont pas au même pied d’égalité.
Des études semblent mettre à jour l’implication d’une bactérie intestinale dans la virulence du covid19. C’est d’elle que viendrait la différence entre les enfants et les personnes âgées, les obèses et les non obèses. Or on sait que le régime alimentaire influence la structure de la flore intestinale. Et le régime alimentaire est souvent différent selon les classes sociales. Les populations afro-américaines seraient ainsi victimes de la “malbouffe”. Ceci pourrait être une des explications à une certaine “résistance” des populations africaines. Cela ouvre aussi de nouvelles perspectives qui pourraient complètement dénier de tout intérêt la recherche d’un vaccin. Mais en attendant une réponse définitive à tout ça, le respect scrupuleux des diverses mesures préconisées reste de mise.
Le gouvernement camerounais a pris un certain nombre de mesures pour lutter contre la pandémie, puis a décidé d’un assouplissement de certaines. Quelle appréciation en faites-vous?
Tenez par exemple, la mesure de la production locale de médicaments, gels hydroalcooliques et masques. Tous les citoyens devraient se sentir interpellés, chacun selon ses compétences et capacités financières propres. Cette mesure devrait très vite déborder le seul champ de la santé et s’étendre sur toute l’activité économique. Mais sa réussite repose grandement sur les attitudes des “privilégiés” qui devront renoncer à s’approvisionner prioritairement avec des produits importés ou à se faire évacuer pour des accès de paludisme.Pour ce qui est de l’assouplissement des mesures, en raison des informations dont je dispose actuellement, j’aurais tendance à dire qu’il a été prématuré d’assouplir mesures barrières. Le gouvernement est certainement mieux outillé que moi pour justifier la prise d’une telle décision et, tout compte fait, on en verra les conséquences dans les deux à trois prochains mois. Mais qu’à cela ne tienne, cette décision met chaque citoyen devant ses responsabilités et “trahit” la faiblesse de la structure de l’économie nationale. Les citoyens doivent comprendre que leur vie n’est pas ou ne doit pas être suspendue à un décret présidentiel. Qu’on doit se priver de plaisirs immédiats pour prétendre à une sérénité à long terme. Cette crise fait jaillir une sorte de paradoxe qui veut que pour s’en sortir sans trop de casses, il faille être individuellement fort mais aussi solidaire de nos semblables. C’est vérifiable tant au niveau des individus que des Etats.
Quel regard posez-vous sur l’annonce de trouvailles de médicaments en Afrique?
Pour ce qui est des annonces de trouvailles de médicaments en Afrique, cette question chatouille les egos sur le continent. C’est l’occasion rêvée pour que les complotistes ecornent l’image de l’OMS ainsi que les praticiens de la médecine occidentale comme moi.
Je ne suis pas en première ligne pour le moment, mais il me revient des confrères qui y sont que cette prise en charge est à l’image du pays, qui est pauvre. Les soignants ont juste le minimum de protection qu’il faut, il n’y a pas assez de tests, de chloroquine, etc. L’indigence de notre système de santé ne date pas de l’apparition du covid19. Et ce n’est pas en trois mois qu’on bâtit un système de santé efficace.
Les leçons à dégager de cette situation sont telles qu’on en ferait de nombreux livres sans les épuiser, mais elles peuvent se résumer en quelques phrases. Soulignons qu’il serait bien malin de se lancer dans le blâme tel ou tel acteur de la société. Chaque société a le système de santé qu’elle mérite. La leçon c’est que nous sommes dans un paradigme d’échec. Il faut le changer. Il faut consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons. Tant en ressources humaines que matérielles.
Dans un environnement aussi fortement informalisé que celui du Cameroun, que peuvent faire les Camerounais pour survivre en ces temps difficiles ?
Que les camerounais consomment ce qu’ils produisent et qu’ils produisent ce qu’ils consomment. Pour bien comprendre la nécessité de produire ce que nous consommons, rappelons que la plupart des pays ont fermé leurs frontières, des médicaments hier usuels ont pris une valeur stratégique. Des Etats ont “braqué” des cargaisons destinées aux pays voisins. Pendant que le Président français Emmanuel Macron nous donnait l’illusion de se préoccuper du sort des africains, l’Agence nationale française de sécurité du médicament (ANSM) interdisait aux grossistes répartiteurs français l’exportation de médicaments sensibles tels que les anesthésiques, hypnotiques, antibiotiques, etc.
En d’autres termes, la sagesse voudrait qu’on ne compte plus sur nos “amis”, car c’est devenu le sauve qui peut !
Propos recueillis par Kamdem Souop
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